[Flashback]
Le soleil brille de mille feux sur cette terre magnifique qu’est l’Alsace (on a rarement vu plus belle contrée en France ou partout ailleurs dans le monde) et c’est d’un pas peu assuré qu’un jeune garçon, l’air d’avoir quatorze ans, et fringué comme s’il allait à sa première communion, pousse la porte d’une grande bâtisse à la façade de verre et qui porte l’inscription « Collège Doctoral Européen ». À l’intérieur, la chaleur est étouffante ; une goutte de sueur perle d’une mèche de cheveux, et le jeune homme troquerait bien sa chemise et son pantalon contre un short de bain et une casquette Bob l’éponge. Seulement, l’heure n’est pas aux plaisanteries. Face à lui, dans l’immense hall baigné d’une lumière vive, se tient une porte fermée. Il entends quelques éclats de voix, enjoués pour certains, apeurés pour une autre voix, qui bientôt se tait. Silence de mort. Puis la porte s’ouvre. Une jeune femme en sort, les larmes aux yeux, sa robe déchirée, les cheveux défaits, et se traînant à l’aide d’une béquille ; et pour cause, sa jambe droite est cassée nette, et n’est plus qu’un fardeau pour elle. Elle se tourne vers le jeune homme, le regard suppliant :
« Tu peux encore rebrousser chemin, tu sais », dit-elle, « tout n’est pas perdu ! J’espère que tu es bien préparé… Je leur ai dit que je ne savais pas si les récepteurs bêta-gluta-énergioniques étaient impliqués dans la transmission synaptique par les neurones du glioblastome par le colon, et ils m’ont giflé ». Elle regarde sa jambe et déclare « et je leur ai dit que je voulais faire des neurosciences parce que je trouve ça cool, et voilà ce qu’ils m’ont fait… ». Et là voila, quittant le bâtiment, d’une démarche claudiquante, à peine sûre de pouvoir rentrer chez elle entière.
« They are asking questions they don’t even understand themselves !! »
De l’autre côté de la porte à présent refermée, des bruits de pas se font entendre. Le jeune homme déglutit difficilement et défait un bouton de sa chemise. Des vapeurs de sueur le prennent à la gorge à cet instant, mais il tient bon. La porte s’ouvre et un homme à l’apparence simple en sort. « Monsieur T****** ? C’est à vous, si vous voulez bien me suivre ». Prenant son courage à demain, le jeune homme pénètre dans la salle, pour y découvrir une quinzaine de personnes, hommes et femmes de tout âge, qui le toisent bizarrement. Il n’est pas à l’aise et à l’impression d’être une souris que des étudiants de L2 observent au microscope pour rechercher une foutue glande minuscule dont il faudra réaliser un ridicule croquis pour espérer avoir une bonne note de dessins (alors que dessiner des petits chats, c’est quand même mieux). Au centre de la salle, un pupitre et juste à côté, un écran qui affiche fièrement la première diapositive de la présentation pauwerpoynt que le jeune homme a préparé depuis maintenant un mois. « Concours pour l’attribution des contrats doctoraux – 2012 » est écrit en grand ; derrière le titre, l’image d’une boîte de pétri, de couleur rouge sang, et des colonies dorées qui ont poussé dessus.
Le jeune homme regarde les colonies ; celles-ci semblent lui faire un clin d’oeil, et l’encourager. Il reprend confiance. S’installant au pupitre, il commence : « Bonjour. Vous pensez peut-être que je me suis trompé de salle et que l’oral du bac de français c’est pas ici, mais je vous assure que je sors bien d’un master de biologie. Permettez-moi de me présenter, et puis j’aborderai ensuite avec vous mon projet de thèse ». Il commence alors son discours, et au bout de quelques secondes se rend compte que l’assistance regarde l’écran d’un air médusé. Ne comprenant pas, il se retourne, et s’aperçoit avec horreur qu’on a modifié le pauwerpoynt qu’il avait préparé. Sur l’écran, ce sont les photos du dernier épisode de My Little Pony qui s’affichent…
[/Flashback]
Un jour, moi aussi je prendrai de la drogue
Il y a un an, pour pouvoir entrer en doctorat, il fallait trouver une source de financement, quelque chose qui t’assure un salaire régulier pendant trois ans. Il existe, fort heureusement, une multitude de solutions pour trouver une source de financement, et l’une d’entre-elles consiste à décrocher un contrat doctoral via un concours organisé par l’école doctorale rattachée à notre Université. L’école doctorale reçoit en effet une trentaine de contrats par an du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, et c’est à elle de les distribuer ensuite. Elle pourrait bien sûr les donner aux équipes qu’elle voudrait, ou en fonction de qui a le plus de financement ou pas, mais la meilleure solution qui ait été trouvée est de faire un concours de t-shirts mouillés où les étudiants sélectionnés seraient jugés sur leur aptitude à exposer et défendre un projet de thèse.
Alors bien sûr, mon passage ne s’est pas exactement passé comme dans le flashback qui sert d’introduction, mais ce qu’il faut savoir, c’est que ce concours, c’est une horreur. Pas forcément de le passer, en fait, mais surtout de le préparer, des semaines durant. Comprenons-nous : nous sommes amenés à présenter un sujet en soi assez pointu à un panel de scientifiques (qui constitue le jury) qui viennent de tous horizons : on y trouve des biologistes moléculaires, des cristallographes, des bio-informaticiens, mais aussi des neuroscientifiques, des éthologistes, des médecins, des biologistes des plantes. Bref, allez expliquer à un mec qui étudie les pingouins en quoi étudier des micro-organismes c’est un projet qui mérite d’être financé et vice-versa (quoi que l’inverse est plus facile, puisqu’en fait un pingouin c’est un peu comme une grosse bactérie, en fait). À cause de cette diversité d’horizons scientifiques, il faut s’attendre à tout lors de la phase la plus cruciale du concours : la discussion avec le jury.
Salut, je suis major de promo, et je vais plomber ton classement.
Il y a en effet trois phases qui rentrent en compte dans la note du concours. La première prend en compte les notes obtenues en Master ainsi que le classement obtenu dans la promo. Les notes sont ainsi relevées ou abaissées en fonction de ce classement, puis ces notes recalculées pour chacun des candidats sont étalées, et généralement les 60 premiers sont sélectionnés pour passer l’oral du concours. En gros, ce procédé permet d’étaler les notes de façon à ce que les meilleurs soient vraiment au dessus et les moins bons vraiment en dessous. Étaler les notes c’est pas forcément injuste, puisque il y a un gros paquet d’étudiants qui se présentent et dont les moyennes se ressemblent toutes. L’étalonnage permet de sélectionner les étudiants en faisant appel à des critères arbitraires. Aussi, comme cette note modifiée compte pour le classement final, elle donne un avantage certain à ceux qui étaient les premiers/seconds/troisièmes de la classe pendant le Master. Personnellement, j’y vois juste une façon d’avantager ceux qui, à l’entrée du Master, savent déjà qu’ils veulent passer le concours et se donnent les moyens pour y accéder. En revanche, ceux qui sont parmi les derniers sélectionnés ne sont pas désavantagés du tout, ce n’est absolument pas sûr qu’ils n’auront pas le concours. Mais j’y reviendrai plus tard.
La bâtisse infernale (en vrai, c’est un peu moins joli)
La seconde phase, c’est donc l’oral. La première partie consiste simplement en la présentation orale. En général, les étudiants qui passent le concours sont bien briefés par leurs équipes et cette partie ne pose pas trop de problèmes, bien qu’il y ait un cahier des charges à respecter et que ce n’est pas toujours le cas. Et vient donc la discussion, qui constitue en une série de questions posées par le jury, questions auxquelles l’étudiant doit tenter de répondre. Et comme expliqué auparavant, les questions peuvent être de tout et de n’importe quoi. C’est pour ça que la préparation au concours est affreuse, il faut aller chercher tous les détails sur son sujet mais aussi essayer de s’élargir à tout ce qu’il y a autour, et ce n’est pas facile.
Cela dit, passer le concours en soit, c’est franchement pas la chose que je ferais tous les jours non plus.
***
Et là, après cette pause, vous vous-dites « mais si ce concours est tellement affreux, pourquoi l’as-tu passé une seconde fois ? ».
Et la question peut se poser en effet. Suis-je un grand masochiste ou un exhibitionniste qui aime être scruté par une trentaine d’yeux (mais tout habillé, ce qui constitue une forme soft d’exhibitionnisme) ? Ai-je été condamné à ce châtiment parce que j’ai formulé quelques propositions relativement douteuses sur la profession de la maman de mon chef de labo ? Ou alors ai-je simplement réussi à me faire passer (encore une fois) pour plus jeune et ai du passer le concours pour prouver que je suis pourtant déjà en doctorat ? Nenni de tout cela, la réponse est Ô combien moins intéressante. En fait, l’hiver dernier, j’ai été élu au Conseil Scientifique de l’Ecole Doctorale des sciences du vivant, qui est rattachée à notre Université. Voilà. Dit comme ça c’est pas ultra sexy. Je siège donc à ce conseil en tant que représentant des doctorants.
Whaaaaaaaaaaaaaaaaaat ?
Là je fais une pause car je suis sûr que la plupart d’entre vous, doctorants qui suivez ce blog, n’étiez pas au courant qu’il y avait des personnes qui vous représentent au Conseil Scientifique de l’E.D., ni même qu’il y avait un Conseil Scientifique à l’E.D. Mais ce n’est pas le sujet.
En occupant cette position, je suis amené à suivre les réunions du Conseil, où sont prises les décisions qui touchent à l’organisation de l’Ecole Doctorale, et le sujet qui nous occupe forcément le plus c’est la préparation et l’organisation du concours. Je peux donc y participer et me mêler aux membres du Jury et assister aux oraux du concours, sans pour autant participer à la notation – je ne suis qu’observateur, même si je peux participer aux discussions. Alors, pourquoi perdre son temps pendant 3 jours à écouter des personnes en train de littéralement se faire dessus ? Et bien, pour 3 bonnes raison : la première, c’est que pendant 3 jours, on a le petit-déjeuner, le déjeuner et le goûter offert (avec en plus un p*tain de pot à la fin) ; la seconde, c’est que y a de la meuf et des 06 à prendre (« oh, vous savez quelles notes j’ai eu ? Halala, je ne sais pas ce que je serais prête à faire pour que vous me le disiez ») ; la 3eme, c’est parce que la joie de montrer ses fesses à un mec en train de passer l’oral et de le voir se décomposer alors qu’il est obligé de continuer son exposé, ça n’a pas de prix.
Ça pourrait être pire, vous pourriez passer devant CE jury…
J’ai pu donc observer sur ces quelques jours plus d’une vingtaine d’étudiants venant de tous bords exposer en l’espace d’un quart d’heure le projet de leur vie pour les 3 prochaines années. Certains veulent affronter les mécanismes qui régulent la formation des tumeurs au cerveau alors que d’autres veulent établir le lien entre la taille des poussins et leur propension à picorer, ou des trucs d’animaux du même genre. Et s’il est une chose qui est frappante en tant qu’observateur, c’est qu’il est très facile de distinguer les étudiants les plus mauvais (qui sont vraiment mauvais) de ceux qui sont très bons (et ils sont vraiment très bons). Sachant que par mauvais, il faut relativiser les choses puisque tous ceux qui passent le concours ont passé une pré-sélection. Enfin, ça n’empêche pas certains de dire que les bactéries ont des noyaux. Ou d’autres choses de ce genre. Il est également à noter que Dieu n’est pas trop évoqué lors de ces discours. J’aurais quand même espéré qu’à la question « pourquoi voulez-vous faire une thèse ? » que quelqu’un aie répondu « Dieu m’a demandé de devenir un martyr » ou ce genre de chose mais non.
En définitive, et malgré le ventre plus que plein du dernier jour, j’ai pu me rendre compte de la tâche difficile qu’est d’être membre du jury. En effet, entre les très bons et les plus mauvais, il y a tout un tas d’étudiants qui délivrent des performances honorables et dont la notation devient assez difficile. D’où la nécessité pour le jury d’étaler les notes au maximum, sinon on se retrouve avec une trentaine de personnes qui ont tous 16, et dire à un monsieur que si la madame qui a la même note a été prise et pas lui c’est parce qu’elle dispose d’une charmante paire de seins, hé bien ce n’est pas très éthique. Même si de prime abord ça semble plutôt sensé, bien sûr.
Comment ça, vous ne voudriez pas d’une telle doctorante dans votre labo ?
Sur la fin, nous avons également eu droit à une analyse statistique des résultats du concours de cette année. Je vous passe l’analyse en détails avec moult tests et p-values de tous genres, mais ce qu’il fallait en conclure, c’est qu’il était IMPOSSIBLE de prédire le résultat d’un étudiant au concours en se basant sur ses notes de master et vice-versa. Autrement dit, c’est pas parce que l’un était premier de sa classe qu’il serait parmi les premiers du concours, de la même façon que, par exemple, la première du concours cette année n’était au final que 7e du classement final, la faute à ses notes de Master. Ce qu’il faut donc en retenir, c’est que rien n’est donc joué et que le concours sert à quelque chose. Que si les membres du jury passent 3 jours à se trifouiller les méninges pour suivre des exposés sur des sujets auxquels ils ne connaissent rien et qu’ils doivent en plus poser des questions pertinentes sur les dits exposés… hé bien, ce n’est pas pour rien qu’ils le font. Et c’est très bien pour les étudiants : s’ils passent des semaines à apprendre tout sur tout sur leur sujet de master et même ailleurs, et qu’ils finissent à quatre pattes en train de se faire des lignes de Guronzan pour tenir debout (ce qui ne marche pas trop puisqu’ils sont à quatre pattes, hein), hé bien ce n’est pas pour rien non plus.
Et en soi, se dire que j’ai eu mon financement de thèse sur la base d’un concours qui n’est pas cheaté ou biaisé, moi, je trouve ça rassurant.
Arnaud
P.S. Je profite de cet article pour féliciter notre camarade Quentin S. qui a obtenu son financement par ce concours cette année et qui partira donc étudier les pingouins dans les îles Crozet . On vous promet donc des photos superbes qu’il voudra bien prendre pour nous.
Bien sûr comme il sera isolé au milieu de ces pingouins, et sans aucune filles à proximité, il va de soi que nous ne pourrons garantir la nature SFW de ces photos.